Interview du Pr Samuel NAKOLENDOUSSE

   « L’eau c’est plus que tout, l’eau c’est plus que l’or »

Géo-Canal-Info a rencontré, le mercredi 18 Août 2021 à l’Université de Ouagadougou, Joseph KI-ZERBO, Samuel NAKOLENDOUSSE, Enseignant/Chercheur/Professeur Titulaire et Expert géophysicien. C’est un enseignant engagé, un homme ouvert et sensible aux questions environnementales et de développement durable qui nous a reçus.

Vous êtes titulaire d’un Doctorat mention Géophysique appliquée à l’hydrogéologie de l’université Joseph Fourrier de Grenoble en France. Que doit-on entendre par Géophysique appliquée à l’hydrogéologie, l’une et l’autre étant, chacune, une discipline à part entière ?

Je vous remercie très sincèrement. C’est bien de communiquer pour se comprendre afin que cela puisse servir à la jeunesse et à notre pays. Je suis géophysicien et la géophysique, en tant que tel, c’est l’utilisation de la physique pour comprendre la terre. C’est donc un outil qui répond à une question. L’hydrogéologie, quant à elle, s’occupe essentiellement de l’eau souterraine. Il est difficile de comprendre l’eau souterraine sans passer par une méthode et l’une des méthodes les plus indiquées est la géophysique.

On ne peut pas faire, notamment dans notre contexte, l’hydrogéologie sans passer par la géophysique ; c’est le cas pour implanter un forage ou pour étudier les circulations d’eau où on a recours à la géophysique. Ainsi l’hydrogéologue pose une question et le géophysicien l’aide à apporter une réponse. 

Vous êtes expert géophysicien, pouvez-vous nous en dire plus sur votre discipline et sur les géosciences plus généralement ?

Tout d’abord, comme je l’ai indiqué, en géophysique, on utilise la physique pour comprendre la terre.  Il y a plusieurs méthodes en géophysique : il y a la méthode électrique où l’on utilise le courant que l’on  envoie dans le sol.  On peut envoyer du courant dans le sol et ce courant va y circuler  en indiquant la structure du sol. Si l’on prend le cas de l’hydrogéologie, surtout au niveau du socle où l’eau se trouve dans des cassures, des failles. Lorsqu’il y a de l’eau, le courant va circuler à travers ces failles ; voilà pourquoi on utilise la géophysique pour faire de l’hydrogéologie.

Une des méthodes que nous comptons avoir bientôt à disposition  au Burkina, c’est la méthode électromagnétique. Dans ce cas, on envoie une onde dans le sol afin de voir s’il y a de l’eau ou pas. C’est la seule méthode qui puisse permettre réellement  de dire s’il y a de l’eau dans le sous-sol. On espère avoir d’ici là l’appareillage nécessaire pour ce faire.

Vous avez été directeur général du Bureau des Mines et de la Géologie du Burkina entre 2012 et 2015. Que gardez-vous de votre passage au BUMIGEB ? Quelles innovations sous votre direction ?

Mon passage au BUMIGEB a été très enrichissant. Chacun apporte sa pierre à la construction de ce pays. Quand je suis arrivé au BUMIGEB, mon objectif était de mettre de l’ordre dans la mesure où la maison rencontrait des difficultés. J’ai décidé alors de tout mettre en œuvre pour qu’à mon départ on ait un « BUMIGEB » qui réponde aux objectifs que s’est assigné le gouvernement.

J’ai ainsi œuvré, de concert avec les travailleurs, à ce que l’on décrive les tâches de tout un chacun de sorte à ce que l’on n’arrive plus au bureau sans savoir ce qu’il faut faire exactement. Nous avons donc innové en ce sens et même par rapport au plan quinquennal. On avait recours à des personnes externes et j’ai décidé que  cela se fasse au BUMIGEB même car nous disposons pour cela de spécialistes en la matière.

Nous avons pu acquérir du matériel roulant, utile pour le géologue à travers ses déplacements, quand bien même cela fut difficile ; les autorités m’ont compris et elles nous ont accompagnés dans l’acquisition de ce matériel. A mon départ du BUMIGEB, j’ai laissé une maison en plein essor avec du matériel adéquat et des travailleurs engagés pour la réussite de leurs activités. Vous pouvez vous en enquérir auprès du personnel. Ce n’est pas pour me jeter des fleurs mais je pense que la plupart a été satisfait sauf peut-être ceux qui n’aiment pas le travail car le travail, le travail bien fait et la ponctualité importent beaucoup pour moi.

Pour anecdote, les travailleurs m’ont demandé, par la voix de  ma  secrétaire, la première fois que j’ai eu à faire face à une revendication de leur part, si je pouvais ne plus venir aussi tôt au bureau car ils trouvaient gênant d’arriver chaque fois après moi. Je leur ai répondu qu’en ma qualité de Directeur général, je me devais de donner l’exemple en étant à l’heure  au bureau, donc à 7h00.

D’aucuns ont vu en ma nomination au BUMIGEB, une sorte de récompense. Mais non. On fait le plus souvent appel à moi  lorsqu’il y a un problème. J’ai dû créer un lien entre le BUMIGEB et l’Université car il n’existait pas de collaboration entre les deux. C’est aussi pour l’enseignement supérieur, pour la recherche et le développement du Bureau que sa direction m’a été confiée. J’ai dû ainsi établir une convention entre les deux institutions.

Vous avez contribué, à travers différents projets, à l’implantation de plusieurs centaines de forages. C’est à louer. Cependant les problématiques liées à l’eau restent plus que d’actualité au Burkina. Que convient-il de faire à ce propos?

Grâce à cette activité, j’ai eu la chance de connaître presque tout le pays. Il n’y a pas une région au Burkina où je n’ai pas implanté un forage et j’en suis content. Il faut s’appuyer sur la recherche pour répondre aux problématiques liées à l’eau. Cependant, les gens ne croient pas à la recherche. Si c’est juste pour implanter un forage, nous n’appelons pas cela faire de la recherche. L’eau souterraine est d’une grande complexité. Il faut donc l’étudier pour savoir où l’eau pénètre dans le sol. Il faut trouver les moyens pour que cette eau puisse s’infiltrer.

Ce qu’il faut comprendre c’est que l’eau, dans le sol, est comme dans un canari. Si ce canari est rempli et que vous pompez, ce dernier se videra. S’il n’y a pas d’apport c’est normal qu’au bout d’un an ou deux, le forage ne fournisse plus d’eau et c’est ce que l’on constate aujourd’hui ; d’où l’intérêt de la recherche. Comment l’eau circule dans le sous-sol ? d’où provient-elle ? Nous pouvons ainsi prendre des dispositions.

C’est dans ce sens que nous avons demandé aux mairies d’avoir cette approche ; celle de faire une grande prospection pour connaître les zones où l’eau s’infiltre et où elle se stocke en profondeur. On pourra dès lors favoriser l’infiltration et protéger ces zones d’infiltration et  partant de là, on aura pas de problèmes d’eau.

Nous l’avons essayé avec plusieurs mairies  et à Titao, ce problème a été en partie résolu. C’est pour cela que nous demandons l’adhésion à la recherche car nous avons, à l’Université Joseph KI-ZERBO, de nombreuses compétences. Il y a d’autres compétences ailleurs et si nous engageons la recherche, nous pouvons y arriver.

C’est vrai qu’il y a  aujourd’hui un projet de la Banque Mondiale dont nous avons contribué à mettre en place l’approche. Mais on constate aujourd’hui que le travail a été confié à des bureaux d’études et on se demande comment  nous pourrions atteindre nos objectifs. Avec le peu de moyens qu’on a, on a essayé de faire de la recherche.

Aujourd’hui je suis fier d’avoir contribué à former 3 thésards au niveau du Burkina, et l’un d’eux a fait un travail formidable qui indique les zones où l’on peut avoir de l’eau, aux alentours de la région du centre. Et si l’on persévérait  dans cette recherche-là, on ne devrait plus, théoriquement, avoir des problèmes d’eau au Burkina.

Je prends pour exemple le cas de Ziniaré. Aujourd’hui, les gens ont peur quand on leur demande d’aller y implanter de l’eau souterraine parce qu’il est dit  qu’il n’y a pas d’eau à Ziniaré. Paradoxalement, nous avons trouvé des zones où il y a de grandes quantités d’eau, inépuisables. On a dynamité la roche et l’eau a jailli comme dans la bible. On a utilisé cette eau pour faire beaucoup de choses et notamment pour construire des routes. Par contre, quand on demande la protection de ce patrimoine, cela pose problème.

En ce moment, ce sont des carrières qui l’exploitent. Il faut respecter l’armée parce qu’elle nous protège et c’est une chance qu’elle ait  protégé une partie de cette zone et nous allons voir avec elle pour la poursuite de nos recherches.

Aujourd’hui, les gens se ruent sur l’or. Mais l’eau c’est plus que tout, l’eau c’est plus que l’or. On a parlé de l’eau souterraine, on pourrait également évoquer l’eau de surface. Nous avons mené des études pour la construction de tous les grands barrages du pays  afin que ceux-ci ne cèdent pas. Et pour anecdote, il y a une grande cassure en dessous du barrage de  Ziga qui va jusqu’à 65 mètres en profondeur ; nos études l’ont montré et il a fallu trouver une solution.

Comme je vous l’ai dit, quand je m’engage, je m’engage à fond. Il faut des engagements forts et nous avons la chance  d’être suivi par le Gouvernement, même si cela ne plaît pas à tout le monde, parce que nous présentons des dossiers clairs. Les gens ne voulaient pas mais il a fallu mobiliser  800 millions de francs supplémentaires pour résoudre ce problème sans quoi nous allions construire le barrage et l’eau devrait en ce moment passer en dessous, ce qui aurait causé des problèmes au niveau de la ville de Ouagadougou.

Nous avons contribué à la construction de grands barrages ; des grands ouvrages   qui résistent et qui vont résister longtemps. Et avec ziga, nous pouvons citer Samandéni et Yakuta. Quand on construit un barrage qui ne retient pas l’eau, vous voyez bien qu’il y a un problème et, vous verrez des barrages où l’eau suinte ou n’est pas retenu. Cela peut s’expliquer du moment où on n’a pas pris le temps et le soin de mener les études qu’il faut.

J’aime à prendre deux exemples à l’endroit de mes étudiants : celui du barrage de Yamoussoukro que le Président Houphouët-Boigny a fait construire. C’est l’un des plus grands barrages de l’Afrique de l’Ouest mais malheureusement les techniciens ont failli. Quand il pleut,  l’eau ne reste pas dans  le barrage. On rencontre également ce cas au Burkina, dans un village situé près de Tikaré. Lorsqu’il pleut, le barrage se remplit mais le lendemain il n’y a plus d’eau. Nos travaux servent aussi à pallier ces problèmes.

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