90% des minerais 3T exportés par le Rwanda sont introduits illégalement à partir de la RDC (Global Witness)
90% des quantités de coltan (principale source du tantale), d’étain et de tungstène, trois minerais plus connus sous l’appellation « minerais 3T », exportés par le Rwanda sont introduits illégalement à partir de la RDC, selon une étude récemment publiée par l’ONG Global Witness.
Spécialisée dans la lutte contre le pillage des ressources naturelles des pays en développement et la corruption politique qui l’accompagne, l’ONG rappelle que les métaux issus de la fusion des minerais 3T sont très largement utilisés dans les équipements électroniques comme les téléphones portables, les ordinateurs et les systèmes automobiles ou aéronautiques.
Pour mener son enquête, Global Witness s’est appuyé sur des recherches de terrain dans plus de dix zones minières à travers le Nord et le Sud-Kivu en RDC ainsi que sur des entretiens menés avec plus de 90 membres du gouvernement, du secteur minier, de la société civile et du monde universitaire, et sur des dizaines de vidéos filmées par des chercheurs locaux.
L’étude intitulée « La laverie ITSCI : Comment un système de diligence raisonnable semble blanchir des minéraux de conflits » (The ITSCI Laundromat : How a due diligence scheme appears tolaunder conflict minerals » a révélé que l’Initiative de la chaîne d’approvisionnement de l’étain (ITSCI/ International Tin Supply Chain initiative), un mécanisme ayant pour objectif de fournir une chaîne de traçabilité fiable des minerais 3T permet la contrebande et le blanchiment de ces minerais extraits en RDC.
« Un acteur clé du lancement du programme ITSCI au Rwanda estime que seulement 10 % des minerais exportés par le pays avaient réellement été extraits sur son territoire, les 90 % restants ayant été introduits illégalement à partir de la RDC », précise l’étude.
Deux autres sources de l’industrie minière ont déclaré à Global Witness qu’elles avaient « averti à plusieurs reprises, depuis 2013, des délégations d’entreprises internationales, dont Apple et Intel, que les minerais 3T provenant de la contrebande représentaient jusqu’à 90 % des minerais exportés du Rwanda, en leur fournissant des preuves ». Ces mêmes sources disent avoir « alerté les groupes Motorola, Samsung, KYOCERA AVX Components et Kemet Corporation contre le risque élevé de recevoir des minerais de contrebande provenant de la RDC lorsqu’elles s’approvisionnent au Rwanda ».
Production artificiellement gonflée par la contrebande
Citant de nombreuses sources du secteur minier en RDC et au Rwanda, l’étude a d’autre part révélé que « le gouvernement rwandais a parfaitement conscience que les volumes de production sont artificiellement gonflés par la contrebande », indiquant que ni le gouvernement ni le programme ITSCI ne publie des données relatives à la production à l’échelle des mines qui permettraient de prouver le contraire.
Global Wintess précise dans ce cadre que « si l’ITSCI a bien pris des mesures contre certains cas de contrebande mineurs, les grands exportateurs de minerais frauduleux n’auraient rencontré aucune résistance ». La plus grosse de ces sociétés, Minerals Supply Africa (MSA), a pendant plusieurs années été le principal exportateur de minerais 3T du Rwanda.
L’ONG a également précisé que l’homme d’affaires suisse, Chris Huber, (actuellement sous le coup d’une enquête pour suspicions de crimes de la guerre en RDC) aurait lui aussi « profité du programme ITSCI pour blanchir des minerais par l’intermédiaire d’au moins trois sociétés différentes », indiquant que « certaines sources du secteur vont jusqu’à suggérer que le blanchiment de minerais de contrebande serait la raison d’être du programme ».
Lancée en 2009 par l’Association internationale de l’étain (ITA) et le Centre international d’étude de tantale et niobium (TIC), l’initiative ITSCI a pour objectif de fournir une chaîne de traçabilité fiable des minerais 3T, garantissant que leur extraction ne contribue pas au travail des enfants ou à l’influence de groupes armés et de l’armée congolaise, qui se disputent le pouvoir dans certaines régions de l’Est de la RDC, et considèrent depuis des décennies le contrôle des mines et le commerce des minerais comme une source vitale de revenus.
Dans le cas de la RDC, cela signifie que les minerais doivent provenir de mines validées par les autorités comme exemptes de telles imbrications. Au Rwanda, cette chaîne de traçabilité doit avant tout vérifier que les minerais n’ont pas été introduits en contrebande depuis la RDC.
Dans les deux pays, les fonctionnaires chargés de mettre en œuvre l’ITSCI scellent et étiquettent les sacs de minerais « légitimes », avant que ces derniers soient acheminés pour leur traitement ou leur exportation.
En 2018, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a examiné les normes d’ITSCI et les a considérées comme étant entièrement conformes à ses propres orientations pour la diligence raisonnable dans les chaînes d’approvisionnement en minerais.
Effectifs limités et contrôles insuffisants
Mais Global Witness souligne que son enquête menée sur le terrain a révélé que ce mécanisme de contrôle « facilite le blanchiment » de minerais en provenance de mines contrôlées par des milices, ou produits grâce au travail d’enfants. « Ce mécanisme auquel de nombreuses sociétés internationales font confiance pour s’approvisionner de façon responsable serait également utilisé pour blanchir des minerais de contrebande ou faisant l’objet de trafics », indique-t-elle. Et d’ajouter : « d’après les preuves que nous avons rassemblées, d’énormes quantités de minerais provenant de mines non validées, y compris aux mains de milices ou exploitées par l’intermédiaire du travail des enfants peuvent intégrer la chaîne d’approvisionnement d’ITSCI et être exportées ».
La preuve la plus frappante avancée par l’ONG sur les failles du mécanisme en RDC se trouve dans la région de Nzibira où un centre de négoce représentait près de 10 % des minerais étiquetés dans la province du Sud-Kivu en 2020. Au premier trimestre 2021, la production des mines validées de la zone de Nzibira représentait moins de 20 % des 83 tonnes de minerais 3T étiquetés localement. Les entretiens menés avec des fonctionnaires, des négociants, des exploitants et d’autres acteurs confirment que « la majeure partie des minerais étiquetés proviennent de mines non validées situées sur les territoires voisins, y compris des mines occupées par des milices et mobilisant fréquemment le travail d’enfants ».
Global Witness dit avoir repéré d’autres failles similaires du programme ITSCI à sept autres points d’étiquetage dans le Nord et le Sud-Kivu.
« Avec ses effectifs limités et l’insuffisance de ses contrôles, l’ITSCI ne dissuade pas le blanchiment de minerais mené par les exploitants et les négociants. D’autres sources affirment en outre que, sans autorisation, des équipes de terrain d’ITSCI collaborent activement avec les exploitants et les autorités pour blanchir des minerais, voire dans certains cas, pour prendre leur commission sur ces recettes illégales. Les agents de l’Etat, généralement mal payés, compensent leur salaire en étiquetant un maximum de sacs de minerais, quelle qu’en soit la provenance », a révélé l’ONG dans son étude.
Contactés par Global Witness, les responsables d’ITSCI nient formellement que son programme facilite le blanchiment à grande échelle de minerais de contrebande au Rwanda, et démentent toute allégation de faute intentionnelle ou de collusion. L’Office rwandais des mines, du pétrole et du gaz affirme, de son côté, opérer en toute conformité avec les lignes directrices de l’OCDE et de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL). Chris Huber réfute, lui aussi, toute relation avec les entreprises prétendument impliquées dans la contrebande, tandis que celles-ci démentent l’exportation de minerais frauduleux depuis le Rwanda.
La RDC et le Rwanda concentrent près de la moitié de la production mondiale de coltan ainsi que d’importantes quantités d’étain et de tungstène.
Agence Ecofin