Abdoulaye OUEDRAOGO, Ingénieur Géophysicien Minier (1 ère partie)
« Il y a un problème de management au niveau de nos autorités nationales »
Géo-Canal-Info a reçu dans ses locaux, le mardi 7 septembre 2021, Abdoulaye Ouédraogo, Ingénieur Géophysicien Minier. Ce diplômé de l’Institut des mines de Léningrad, en 1986, a effectué l’entièreté de sa carrière au Bureau des Mines et de la Géologie du Burkina (BUMIGEB) de 1987 à 2018, année de son admission à la retraite. Entre satisfactions et regrets, il revient, sans langue de bois et indexant le management, sur son parcours et les grands chantiers qui l’ont jalonné. Ce parcours qui, quelque peu, lève le voile sur un pan de l’histoire des mines au Burkina lors de ces trois dernières décennies.
Vous avez obtenu un diplôme d’ingénieur géophysicien avec une spécialisation minière. Pouvez-vous nous en dire davantage sur votre cursus, votre parcours ?
Je vous remercie de m’inviter à échanger avec vous. Effectivement, j’ai fait 6 années d’études scientifiques et techniques en Union Soviétique et à Leningrad précisément. J’ai fait une année préparatoire à l’institut polytechnique de Leningrad et 5 années à l’institut des mines de Léningrad. Ce qui m’a emmené à obtenir le diplôme d’ingénieur géophysicien dans une faculté de géophysique.
Je suis rentré en 1986 et j’ai commencé à travailler, après un test technique, au BUMIGEB en juin 1987. J’ai été immédiatement orienté vers la recherche minière, ce qui était ma spécialité normale, à Poura où on avait un très grand projet pour la Société de Recherche et d’Exploitation Minière du Burkina (SOREMIB) ; j’y ai passé pratiquement une dizaine d’années d’exploration avec des périodes de « off » et « on ».
Ensuite, j’ai travaillé sur Perkoa au sujet de la recherche des sulfures massifs pour la prolongation des sites. Les études antérieures avaient été faites par le BUMIGEB. Ce sont les sociétés Nantou Mining et METEOREX qui ont, cette fois-ci, demandé au BUMIGEB de reprendre les études pour elles et pour leurs propres bases de données. J’ai été affecté à cela avec mon équipe technique.
J’ai encore travaillé à Perkoa, mais cette fois, dans le cadre d’un autre projet minier pour tester des anomalies de géophysique qui avaient été découvertes ; il s’est agi d’anomalies aéroportées et d’anomalies au sol. Mais aussi d’un volet assez important sur la recherche d’eau qui a consisté à l’étude des terrains. On a fait implanter des forages d’eau pour les villageois en général et, aussi pour les villes, pour l’office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA), etc.
Vous avez commencé et terminé votre carrière au Bureau des Mines et de la Géologie du Burkina de 1987 à 2018. On peut dire que vous connaissez bien la maison. Quel est le rôle et quelles sont les missions du BUMIGEB ?
Je ne sais pas si je suis la personne la mieux placée pour répondre à cette question, mais je vais tenter. En fait le BUMIGEB a été créé dans le but de doter l’Etat burkinabé d’un organisme capable de répondre aux problèmes et aux défis de la géologie.
En 1978, et même bien avant cette date, on s’est rappelé que l’on nous disait que « vous n’avez rien dans votre sous-sol à part Poura ». Mais nos géologues qui étaient revenus d’études ont pensé que cela n’était pas possible. Il fallait qu’on ait un organisme détaché de l’administration mais qui aura, bien sûr, des relations avec le ministère et dont la gestion sera autonome.
Voilà pourquoi le BUMIGEB a été créé pour permettre de faire des recherches sur tout le territoire national afin de trouver ce qu’il y avait comme indice minéral et procéder, éventuellement, à leur développement. C’est ce qui a été fait et c’est là qu’intervient toute la panoplie des cadres : techniciens, géologues, géophysiciens, géochimistes, sondeurs, foreurs ; il y en a beaucoup… J’aime à l’appeler le RSP du ministère des mines (rires).
Il y a aussi le volet environnement que le BUMIGEB doit sauvegarder. Il doit étudier un certain nombre d’ouvrages techniques pour voir s’il n’y a pas de fuites, des problèmes liés aux huiles. Il y a une direction spécialement créée à cet effet et qui continue à travailler ; c’est la direction des hydrocarbures et elle est très importante.
Des personnes de l’extérieur sont sollicitées pour effectuer des travaux de géophysique au Burkina. On envoie également des échantillons vers d’autres pays pour analyses. Qu’est-ce qui manque au BUMIGEB et à son laboratoire ? N’est-il pas risqué ou dangereux de faire traiter nos échantillons à l’étranger ?
En ce qui concerne l’expertise géophysique, il faut dire que nous avons essayé de faire de la géophysique appliquée à l’exploration minière, mais disons que nous ne maitrisons pas toutes les méthodes qui se pratiquent. Nous n’avons pas tous les équipements et nous n’avons pas tous les cadres formés dans tous les domaines de la géophysique.
C’est une très grande famille de spécialisations et nous n’avons pas les cadres pour couvrir tout le domaine. Nous en avons qui font de la géophysique appliquée à l’eau, la géophysique appliquée à la mine ; il y a également la géophysique du pétrole et la géophysique radionucléaire. Nous essayons de toucher à tout cela au BUMIGEB.
Mais en réalité, l’expertise nous fait défaut et nous sommes obligés de faire appel à des cadres de l’extérieur. On aurait souhaité pouvoir tout faire. Mais allez-y au BUMIGEB, vous verrez ! il y a combien de géophysiciens ? C’est ridicule pour un service qui a déjà plus de 40 ans d’existence !
Il faut dire qu’à un moment donné, la formation n’a pas suivi le rythme de l’avancée des découvertes minières au pays. Nous étions obligés de recruter ces dernières années et à partir de 2011, des jeunes de l’université de Ouagadougou (Joseph KI-ZERBO) ; des jeunes ayant une maitrise en géologie que nous avons formés en géophysique avec l’aide de la coopération bi et multilatérale.
Pour ce qui concerne le laboratoire, je dirais qu’il s’agit d’un problème de management. Voici un service qui était parvenu en 2000 à avoir le meilleur laboratoire de tous les services géologiques de l’Afrique de l’Ouest, en ce sens qu’on a pu acquérir l’ICP-MS ; un équipement dont, même en Europe, certains services géologiques n’étaient pas dotés.
Au Ghana, il n’y en avait pas lorsque le BUMIGEB l’acquérait. J’ai pu le constater quand je me suis rendu au 90 ième anniversaire du service géologique ghanéen. Mais ce service possédait, toutefois, des équipements dont le BUMIGEB ne disposait pas.
Nous avions donc ce laboratoire qui avait la capacité de traiter ces échantillons qui arrivaient et, ces derniers n’étaient pas aussi nombreux que ceux qui arrivent ces temps-ci. Il y a eu aussi de nombreuses pannes sur des machines qui n’ont pas pu être réparées à temps. Je parlerai donc ici d’un problème de management.
S’agissant du laboratoire, je ne dirai pas que c’est autant risqué. Je pense que nous avons probablement signé des conventions avec des laboratoires à l’extérieur pour pallier les incapacités, momentanées, de faire des analyses du fait des pannes sur certains appareils ; des appareils qu’on aurait pu, de mon point de vue, réparer à temps.
Je ne vois donc pas le danger que cela peut comporter parce qu’il nous faut ces résultats pour ceux qui nous le demandent afin qu’ils puissent continuer leurs travaux. Nous sommes alors obligés d’envoyer ces échantillons et de suivre leur traitement. Aussi, l’acquisition d’outils informatiques et d’équipements adéquats est indispensable pour un service géologique.
Vous avez occupé le poste de directeur des sondages au BUMIGEB. Arriviez-vous à couvrir les 10% de travaux qui vous étaient impartis annuellement ?
Il faudrait voir la direction des sondages et des forages qui opère en ce moment des travaux sur le terrain. Je répondrai pour la partie qui m’a concerné, à savoir jusqu’en 2018. Vous pouvez noter qu’il y avait des difficultés à couvrir ces travaux. Mais là n’est pas la question. J’ai toujours dit que la souveraineté de la découverte géologique doit toujours rester à l’Etat burkinabé dont l’acteur principal est le BUMIGEB.
L’esprit des 10% c’est pour que les résultats ne nous échappent pas. Nous devons faire les travaux même si nous allons analyser les échantillons dans dix ans. Au moins on a des échantillons que l’on pourra analyser et savoir ce qu’il y est contenu. Cependant, si nous laissons partir tous les échantillons à l’extérieur, ce serait compliqué parce que des analyses et des sondages peuvent se faire sans que nous ne le sachions.
Nous avons, du reste, vu ces situations ici. Des sociétés qui arrivent avec leur avion et qui font leur levée à l’insu du BUMIGEB. Je suis au courant mais le BUMIGEB n’en est pas officiellement informé. C’est à croire que ce service n’existe pas alors qu’on devrait être à mesure de contrôler leurs actions. Enfin, c’est mon point de vue en tous les cas.
La charge de responsable du service géophysique vous revenait également. Que pouvez-vous nous en dire ?
A l’instar du DG Samuel Nakolendoussé avec qui j’ai beaucoup travaillé de 2012 jusqu’à son départ en 2015, je dirais que j’ai pris ces fonctions (directeur des sondages et chef de service géophysique) avec plein (insistance) de problèmes à gérer. C’était la somme totale de l’exploration de ces deux disciplines, géophysique et sondage minier.
En géophysique, lorsque j’arrivais, il n’y avait plus d’appareils, de techniciens ni d’ingénieurs. J’étais le seul ; tout seul. Je n’avais pas de techniciens mais des chefs d’équipe qui pouvaient opérer certains appareils, mais ça se limitait à cela.
Il a donc fallu monter des stratégies pour recruter les jeunes dont je parlais tantôt, puis les former et les hisser à l’altitude que nous voulions, afin qu’ils soient à même de faire le travail demandé. En tous les cas nous l’avons réussi ; dès 2014, nous y sommes parvenus et les résultats sont là qui le prouvent.
Avec le Pr Nakolendoussé, vous êtes deux figures de proue de la géophysique au Burkina. Qu’est-il sorti de votre collaboration au BUMIGEB ?
Je dirais qu’en 4-5 ans, nous avons fait le parcours du combattant. Le BUMIGEB a revécu. L’exploration est repartie sur le bon pied. Il y a beaucoup de choses qui n’allaient pas et il a tenu à mettre de l’ordre et à faire en sorte que nous puissions obtenir, au moins le minimum, de ce que nous n’avions pas pour avancer. Et ce, dans des conditions vraiment difficiles dans la mesure où les budgets étaient coupés à moitié.
J’ai assisté à beaucoup de choses et j’en étais, moi-même, dépassé. Vous demandez trois milliards et on vous en donne un. Mais ce n’est pas possible ! Vous demandez un véhicule Land cruiser pour aller sur le terrain. On vous dit que cela coute trop cher et qu’il faudrait acheter une Peugeot bâchée. Qu’est-ce que cela veut dire ?
Il faut donner au BUMIGEB les moyens si l’on veut qu’il fasse telle ou telle autre politique ! On a voulu chercher le pétrole et on n’y est pas parvenu. Pourquoi ? Ceci, parce que les moyens ont manqué. Nous avons développé des initiatives et emmener l’ambassade de Taiwan à nous supporter.
Avec un petit budget et deux géologues, nous avons fait des recherches à l’ouest du Burkina. On a fait des découvertes très intéressantes mais il fallait poursuivre pour atteindre, aboutir au forage à trois, quatre, cinq kilomètres de profondeur. Mais où sont les moyens ? Il n’y en a pas. Vous devez trouver mais on ne vous en donne pas les moyens.
En dehors des implantations, quels sont les grands travaux sur lesquels vous êtes intervenu au plan national ?
Au plan national, comme je vous le disais, il y a eu d’abord la recherche minière et c’était le principal volet ; une recherche d’or surtout, un peu partout, sur le territoire national. Il y a des zones où nous avons chassé des chèvres pour prendre des maisons dans le Sahel et c’est le cas de Inata. Il n’y avait rien du tout. Notre direction régionale de Dori et nous-mêmes, géophysiciens du BUMIGEB, avons investigué dans la zone et voilà qu’une mine en est sortie.
Inata, Arbinda, Essakane, etc. Ce sont des découvertes du BUMIGEB pour ce qui concerne l’or. De nombreuses mines ont été découvertes suite aux études réalisées par le BUMIGEB. Je parlerai aussi des sulfures massifs ou c’est le BUMIGEB qui a conduit les travaux avec le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) et l’Allemagne. Et c’est devenu ce que l’on sait, le grand gisement de Perkoa ; l’unique de l’Afrique occidentale.
Nous avons effectué des travaux de géophysique sur des affleurements de granit pour, par exemple, la route Bobo-Boromo. Pour la route de Pô, il a fallu voir si le granit qu’on avait était suffisamment bon pour être utilisé en évitant d’utiliser un granit altéré au risque que le goudron s’affaisse plus tard ; c’est là, de la géotechnique.
Il y a aussi les stages de formation d’étudiants venus de partout. Ils nous venaient de l’Europe de l’Est, de l’Union Soviétique, de la France, de la Belgique, etc. On a aujourd’hui parmi eux des grands cadres internationaux.
Nous avons tenté également la recherche de l’uranium depuis 2013. Jusque-là, nous avons vu des anomalies importantes mais on n’a pas mis la main sur la ressource. Nous en sommes restés au terme d’anomalies. Même pour le pétrole ou le gaz, on parlera d’anomalies. On ne peut pas dire que la ressource est présente. Mais on est sûr pour l’or, le zinc, le plomb et l’argent ; il s’agit là de découvertes. Mais il y a des anomalies pour lesquelles il est pratiquement sûr que ce sont des gisements. On ne peut toutefois pas les classer tant qu’on ne les vérifie pas.
De grosses découvertes sont attendues à partir du Sahel jusqu’à l’Est. Cela appartient à la jeune génération. Si on nous y invite, tant mieux (rires). C’est aussi un peu la contribution du Pr Nakolendoussé avec lequel on s’est battu pour le démarrage du projet de cartographie géophysique aéroportée dès 2012 avec la Banque Mondiale et avec Boubacar Bokoum comme chef de projet. Ce projet a continué jusqu’en 2019-2020. Je pense qu’il en est à d’autres phases que je ne connais pas vraiment. Je n’en parlerai donc pas. Les résultats étaient très satisfaisants.
Que peut-on dire de vos travaux sur la zone de délimitation à Nasso ? Aujourd’hui, une usine a occupé une partie de cette zone. Qu’en pensez-vous ?
Ici, je ne parlerai pas au nom du BUMIGEB. je ne pense pas être la personne habilitée à le faire. Mais je dirai ce que je sais de la « chose ». Ce que je peux dire et que je sais pour m’être intéressé à la question, c’est qu’il y a un problème de management, comme je vous l’ai dit, au niveau de nos autorités nationales.
Le projet de cette usine à Bobo ne devrait pas avoir lieu. C’est avec regret que nous, techniciens, constatons que rien n’a été suivi des conclusions des travaux des experts locaux. On a préféré payer des experts à l’étranger pour venir dire exactement ce qu’ils veulent, eux, pour que l’usine marche. Mais, dans dix, quinze, vingt ans, vous allez entendre parler des conséquences . C’est tout ce que je peux dire. Je ne vais pas m’avancer plus en profondeur.
Des commissions, des techniciens nationaux ont fait des travaux scientifiques, des analyses et, tout a été balancé. C’est vraiment dommage ! Il s’agit là du management. Cela me fait mal parce que des gens vont en mourir. Vous allez voir des cancers se développer sans comprendre pourquoi. C’est comme quoi, on a voulu tuer la forêt, polluer l’eau sous la terre parce que ce sont des nappes qui se communiquent.
Dans toute la zone, Nasso, l’hôpital de Kua, il y a des forages de l’ONEA à côté. Tout cela communique en dessous. Heureusement que la mobilisation populaire a fait retourner les gens et les chinois vont construire l’hôpital à Kua. J’espère que je ne trompe pas. Il faut revoir notre management, pas en « bas » mais au niveau national.
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