Pr Séta NABA (suite et fin)

« Il faut abandonner cette manière ancienne de faire : je prends ce dont j’ai besoin dans la nature et je laisse cette nature se débrouiller  »

 Le 2 octobre 2021, Géo-Canal-Info s’est entretenu, à l’université Joseph KI-ZERBO (UJKZ), avec le Pr Séta NABA, Enseignant-Chercheur et Professeur Titulaire du CAMES depuis 2020. Ancien Chef du département de géologie, Le Pr Séta NABA est titulaire d’un Doctorat de 3ème cycle (Université Cheikh Anta Diop de Dakar) en 1999 et d’un Doctorat de l’université Toulouse III (Paul Sabatier) en 2007. Le Professeur NABA est aussi auteur et co-auteur d’une trentaine d’articles et d’une vingtaine de communications scientifiques. L’actuel directeur du Laboratoire Géosciences et Environnement (LaGE)  s’est appesanti sur son choix de l’enseignement en dépit des nombreuses propositions de compagnies minières ; faisant ainsi  de la formation, son cheval de bataille. Nonobstant ces nombreuses sollicitations, c’est un enseignant ouvert et disponible qui nous a reçus. 

 

 Disposez-vous, au département de  géologie, des moyens nécessaires pour mener à bien les travaux pratiques et pour dérouler votre programme des études de géologie structurale ? Vous avez, quelque peu, anticipé sur cette question mais vous nous apporterez, sans doute, plus de précisions.

 Je dirai non. Clairement non. Il faut déjà situer les travaux pratiques à trois niveaux. Il y a d’abord les travaux pratiques de licence pour ceux qui n’auront pas les capacités ou la chance d’aller plus loin ; que ces derniers puissent, à partir de ce niveau, être opérationnels et pouvoir travailler. Comme vous l’avez bien remarqué, j’ai anticipé sur la question. Avec du matériel qui était destiné à former une dizaine de personnes, on se retrouve aujourd’hui à utiliser le même matériel pour former des centaines de personnes. Avouons que c’est quasiment impossible.

 Ensuite, nous avons  stratégiquement réfléchi et constaté qu’il y a certains travaux pratiques qui ne sont pas très utiles pour ceux qui sortiront en licence. Nous les avons reportés en master. Et même à ce niveau, de plus en plus, avec la massification des effectifs, le problème se pose. Maintenant, au niveau doctoral, il faut le dire, nous n’avons pas du tout le matériel qu’il faut. De toutes les thèses que j’ai encadrées ou co encadrées, il n’y a pas une seule pour laquelle nous n’avons pas eu recours à la sous-traitance.

 Nous sommes obligés, à un moment ou à un autre, d’envoyer l’étudiant dans un laboratoire européen ou ailleurs dans le monde pour faire certaines manipulations complémentaires. Sinon, nous ne pouvons pas finaliser la thèse ici et la brandir, aux yeux de la communauté scientifique internationale, et dire que ça vaut réellement le niveau d’une thèse. Ce sont, pourtant, des équipements que nous pouvons acquérir et entretenir si nous avons les financements nécessaires. Ces équipements resteront et serviront à former, pour la postérité, d’autres étudiants. A ce propos, la réponse est très claire. Nous ne sommes pas nantis, on se débrouille.

 Quel est aujourd’hui, de votre point de vue, l’apport de l’étude structurale dans la découverte des mines au Burkina ? Quel est l’intérêt de cette étude dans le domaine de l’eau, de la recherche minière ?

Il faut dire que la géologie structurale, au sein des géosciences, est comme une discipline transversale. Que ce soit dans le domaine de l’eau ou des mines, ou encore même des routes, je veux dire les applications en géotechnique, on a besoin de la géologie structurale.

La géologie structurale, ainsi intitulée, ne dit pas tout de suite qu’elle fait de la science. Elle étudie la déformation des matériaux de l’écorce terrestre. Il se trouve alors que la terre, depuis sa formation et jusqu’au jour d’aujourd’hui, est une entité dynamique ; elle bouge. C’est pour cela que, périodiquement, on entend parler de tremblement de terre, de volcanisme dans certaines régions du monde.

 Heureusement chez nous, tout a bougé par le passé, il y a environ 2 milliards d’années. Mais après, nos terrains sont restés à peu près stables. Nous ne ressentons plus ces mouvements mais ces derniers ont laissé des marques de déformation des matériaux de l’écorce terrestre. Aujourd’hui, parmi la quinzaine de mines qui fonctionnent au Burkina y compris celle de zinc, il n’y a pas une seule où l’on ne parle pas de matériaux de l’écorce terrestre qui auraient contrôlé la minéralisation. A ce titre, la géologie structurale est très importante.

La géologie structurale est également très importante pour ce qui concerne l’eau. Aujourd’hui, on a vu que les ressources en eau de surface ne pouvaient pas suffire pour les besoins de nos populations. C’est d’ailleurs pour les grandes villes que l’on exploite les eaux de surface pour l’alimentation. Sinon, la majorité de l’alimentation en eau potable dans les campagnes se fait sous forme de forage. Il faut donc recourir aux eaux souterraines, sachant que près de 80% de la superficie du pays est faite de roches magmatiques, métamorphiques et donc de roches qui laissent très peu de porosité.

Il faut encore la déformation des matériaux de l’écorce terrestre, la fracturation pour permettre aux eaux de pluie de s’infiltrer et d’aller s’emmagasiner en profondeur. Et c’est l’objet de l’hydrogéologie. Vous allez voir finalement que l’exploration des eaux souterraines fait recours, en beaucoup d’endroits, à la géophysique ; pour détecter ces zones de fractures en profondeur et espérer trouver de l’eau dans ces zones-là. La géologie structurale intervient aussi dans le domaine de la construction. Pour s’assurer notamment de la stabilité de son ouvrage, qu’il n’est pas sur une zone broyée, etc. 

Un ancien ministre des mines et des carrières avait évoqué la présence d’hydrocarbures et plus précisément du  pétrole au Burkina ? En Côte d’Ivoire, on en a récemment découvert. Qu’en est-il du Burkina ?  Pouvez-vous nous donner le point de vue du coordonnateur adjoint du Programme Thématique de Recherche Mines-Pétrole-Eaux et sols (PTR-MPES) du CAMES que vous êtes ?

A l’époque, J’ai écouté le ministre, le responsable en question. J’ai moi-même cherché à comprendre parce qu’on peut être dans le domaine des sciences mais on n’est pas  seul. Il y a certains qui ont comme vocation ou pour tâche  de travailler sur un sujet bien précis. Ils peuvent donc être au courant de certaines informations sans que, nous qui sommes plutôt destinés à la formation, nous ne le soyons.

  J’ai donc écouté le responsable en question. J’ai cherché à comprendre et, tous les spécialistes que j’ai touchés, semblaient ne pas être  au clair sur cette information. Je ne vais pas trop m’étaler à ce propos. Il a peut-être ses sources. Mais il faut dire que pour le Burkina, tel que nous le savons en tant que géologues, – j‘avais tantôt dit que le Burkina a 80% de formation magmatique et métamorphique et 20% de formation sédimentaire – les chances de trouver du pétrole pourraient se retrouver dans les 20% de sédimentaire ; dans le bassin de Taoudéni parce que celui des voltas, vers l’extrême sud-est du pays, ne représenterait que 3 à 5% du territoire. Les 15 à 17% se trouvent dans la partie Ouest du pays ; cette entité fait partie de ce qu’on a appelé le bassin de Taoudéni dont la plus grande partie se trouve du côté du Mali. Si  nous avons des chances de trouver du pétrole, ce serait dans cette partie-là.

Je crois d’ailleurs que le responsable en question, en parlant, avait évoqué la zone de Nouna. Nous avons participé à la restitution des données de géophysique qui ont prouvé que les sédiments étaient profonds au niveau de Nouna. Cependant, il n’a jamais été clairement dit qu’il y avait du pétrole sous ces sédiments profonds. Mais ce sont des conditions favorables à l’existence du pétrole. En matière de géologie, j’aime le dire, on ne doit jamais pouvoir affirmer à 100%.

 Il faut dire plutôt : Dans l’état actuel des connaissances, voilà l’information que je vous donne parce que cette information peut changer du jour au lendemain. Et, quand on n’a pas investi de l’argent pour chercher du pétrole, on ne devrait pas pouvoir affirmer qu’il y en a ou qu’il n’y en a pas. Affirmer qu’il y a du pétrole, c’est trop avancer puisque pour affirmer, il faut apporter des preuves. C’est ce qu’on appelle généralement, soit des indices ou on a estimé un gisement. On connait ce qu’on trouve.

Pour tous les gisements qui ont été découverts, caractérisés, on montre par avance le nombre de barils que l’on peut extraire de chacun de ces gisements. Quand l’étude est sure, on est sure de ce que l’on avance. Mais sans investir un seul « rond », on ne peut pas dire non plus que la ressource n’existe pas. Que dire si l’on investit et trouve la ressource ? Voilà pourquoi on devrait dire qu’à l’état actuel des connaissances, on n’a pas encore découvert le pétrole mais voici les conditions favorables à sa découverte et voilà les conditions défavorables à sa découverte.

On peut même investir de l’argent et dire qu’on n’a pas trouvé de pétrole ; soit parce qu’on n’est pas compétent et qu’on est passé à côté. Cela peut arriver et c’est déjà arrivé ; soit un géologue passe premièrement et il affirme qu’il n’y a rien et un autre fait plus tard une découverte sur le même terrain. Ou c’est la technologie utilisée par le premier qui est de niveau inférieur ou c’est le niveau de connaissances de celui-ci qui est inférieur. Et ça, il faut le reconnaitre.

 Voilà pourquoi, lorsque nous tirons une conclusion en géologie, celle-ci est très souvent nuancée. D’après ce que je sais (donc mon niveau de connaissances) et d’après les techniques que j’ai utilisées, il s’est avéré que sur ce terrain, il n’y a rien. Mais dire qu’il n’y a rien sont des propos à éviter. Et lorsque vous dites qu’il y a quelque chose, il faut en montrer les preuves : cartes, estimations, etc.

Je reviens maintenant à la question sur le pétrole découvert récemment en Côte d’Ivoire. Il faut savoir que ce pétrole a été découvert sur le continent mais en offshore ;  quand on dit en offshore, cela  veut dire que ce sont des environnements qui sont noyés dans les eaux. Ce n’est donc pas sur la terre émergée. Il faut dire qu’il s’agit là, de pétrole de formation relativement récente. Ce pétrole se forme après que nos formations géologiques sont déjà faites. Les formations les plus récentes datent du – de ce que nous avons appelé dans la coupure de l’échelle des temps en géologie – paléozoïque. Cette période paléozoïque, le cambrien, l’ordovicien, il faut les chercher autour de 400 millions d’années alors que ce pétrole est de formation plus récente.

 Si vous remarquez, tous les pays qui sont au niveau du Golfe de Guinée, espèrent avoir du pétrole. En remontant du côté des côtes du Sénégal, il y a eu des découvertes sur toute cette côte. Malheureusement, nous ne sommes pas un pays côtier. Ce qui fait nous ne pouvons pas nous inscrire dans la recherche du pétrole.

La plupart des mines sont d’or. N’est-il pas possible et ne conviendrait-il pas de diversifier l’exploitation minière au Burkina ?

Oui, la diversification c’est tout ce que nous souhaitons. J’ai participé en 2020 à l’écriture du programme fédérateur de recherche dans le domaine des mines qui a été initié par la Direction Générale de la Recherche Scientifique et de l’Innovation (DGRSI) de notre ministère. C’est une commission qui avait été constituée de spécialistes venant de tous les ministères y compris celui des mines. Nous avons plus ou moins repris une partie des programmes du Bureau des Mines et de la Géologie du Burkina (BUMIGEB) ; ‘’la diversification du portefeuille des ressources minérales recherchées’’. On a en cité un certain nombre. Mais, comme je l’ai dit, géologiquement, il y a un langage qu’on doit tenir.

L’or constitue la ressource minière qui est la plus exploitée parce qu’elle est également la ressource minière la plus disponible. Il faut dire que dans l’histoire de la terre, l’or s’est toujours formé à toutes les époques. Mais également, il est mondialement reconnu que la période qui se situe entre 2,5 milliards et 1,6 milliards d’années – que nous appelons le paléoprotérozoïque – a été un pic pour la formation de l’or à l’échelle de la terre toute entière.

 Il faut rechercher ces formations géologiques dans les cratons ouest-africains, un peu dans les cratons du Congo ; il faut les rechercher ailleurs, en Australie, au Canada. Voilà pourquoi les anglo-canadiens et les australiens qui sont vraiment ancrés dans la recherche de l’or, sont venus vers l’Afrique quand ils se sont aperçus que les mines descendaient beaucoup plus en profondeur au Canada et en Australie. Les mêmes types de terrains existent en Afrique et ils ont de la chance d’y trouver de l’or.

Par contre, ce sont dans les orogènes très récents que l’on retrouve le cuivre. Vous allez voir que ces orogènes très récents,  sur la côte de l’Amérique latine, constituent les plus gros gisements de cuivre. On l’a recherché dans tout le craton ouest-africain. Ce n’est pas que le cuivre manque, mais ce sont de toutes petites quantités comme celui de Gaoua par exemple. La compagnie minière Volta resources qui après, a rétrocédé ses concessions à Bitou gold, l’a tenté. Mais la quantité de cuivre, au jour d’aujourd’hui n’est pas une quantité économique. On ne peut pas concurrencer avec les mines que l’on retrouve en Amérique latine et ailleurs dans le monde.

Nous avons donc conscience qu’il faut diversifier le portefeuille. Mais aurions-nous ces chances-là ?  Comme je le dis toujours, nous avons notre manière de voir en géologie. Tant  que nous n’aurons pas recherché, nous ne dirons pas que la ressource n’existe pas. Il se pourrait qu’accidentellement, durant le paléoprotérozoïque, nous ayons eu une concentration exceptionnelle de cuivre quelque part sans pouvoir l’expliquer. C’est ce qu’on appelle un accident ou un scandale géologique. La mine de zinc est un exemple. Si vous regardez la carte de distribution mondiale du zinc, vous allez vous rendre compte que la plupart des gisements de zinc se situe loin de l’Afrique. Et seul, en Afrique de l’Ouest, c’est juste celui-là qui se trouve à Perkoa. C’est une exception. Il convient donc de mettre toujours l’argent qu’il faut pour rechercher et tirer ensuite des conclusions.

Quels rapports faites-vous entre géosciences et développement durable ?

Géosciences et développement durable ! Je crois que c’est un agencement qui est très bien fait ; puisque le support sur lequel on vit, d’abord, c’est la terre. On peut dire qu’à plus de 90%, l’homme tire du sous-sol, la matière première de l’environnement et du confort qu’il se crée. Peut-on dire aujourd’hui que l’on va arrêter d’exploiter les ressources du sous-sol, parce qu’il faut bien gérer l’environnement ? Je ne sais pas par où nous passerons alors.

On a parlé des énergies propres.  Mais il a été constaté que pour produire, des fois, un panneau solaire par exemple, il faut une certaine énergie ; et cette énergie utilisée est polluante à l’origine. Ce qui est donc difficile à trouver, c’est le juste équilibre. Quand on calcule parfois ce qu’il faut pour préserver l’environnement, c’est aussi dépenser de l’énergie quelque part ; c’est également polluer l’environnement d’une certaine façon.

Il faut abandonner cette manière ancienne de faire : je prends ce dont j’ai besoin dans la nature et je laisse cette nature se débrouiller. En commençant à extraire ce dont on a besoin du sous-sol, il faut penser à comment réserver une partie de ce qu’on a exploité pour restaurer l’environnement. Il faut le faire et c’est dans ce sens-là que nous parlons de développement durable.

Exploiter mais exploiter de manière réfléchie ; arriver à restaurer l’environnement convenablement. Des fois, on peut exploiter et restaurer de telle sorte que le nouvel environnement soit préférable à celui de départ. Je crois que c’est ce que les pays pétroliers ont compris.

J’ai suivi un documentaire qui montrait que l’Arabie Saoudite était extrêmement pauvre, plus pauvre que nos terres d’aujourd’hui. Mais c’est suite à la découverte du pétrole qu’elle s’est mise à se développer. Et, je crois qu’au début, cela a failli déboucher sur l’anarchie. Mais après, les gens ont compris qu’il faut exploiter mais créer également un environnement sain et, peut-être même, plus sain qu’avant. Des forêts ont remplacé des déserts à travers l’investissement d’une partie de l’argent du pétrole.

Il faut le dire. Il ne faut pas se flatter. Une ressource qui dort aujourd’hui est peut être une ressource perdue. La ressource existe aujourd’hui. Mais si demain on parvenait à parfaire la formule des énergies renouvelables, sans plus avoir besoin des combustibles fossiles ? Qu’est-ce que ces pays pétroliers deviendraient alors ? Leur pétrole va dormir !

Par contre, s’ils parviennent aujourd’hui à exploiter une bonne partie de leur pétrole et réinvestissent, ces fonds réinvestis font continuer à faire tourner des milieux. Je pense que la meilleure des solutions, c’est de connaitre toutes ses ressources et de prendre chacune au moment opportun.

  Quel est votre  mot de la fin, votre cri du cœur ?

  J’ai suivi l’évolution du milieu en tant qu’étudiant. J’ai personnellement eu des opportunités dans les compagnies minières. Mais, moi, ma motivation, ma satisfaction se trouvait au niveau de la formation. Pour mon intérêt personnel mais également pour l’intérêt de tout le pays. Je n’ai pas deux pays. Je suis un garçon de ce pays.  Je dois apporter ma contribution au développement, avant un jour de m’en aller et de laisser le milieu à d’autres. Mais avant de partir, il faudra que l’on s’assure que ça ne sera pas le désert après et que nous allons continuer à rayonner.

Il y a une chose qui me plait très bien lorsque je me présente aux rencontres internationales. Je vois des gens d’autres pays. Je vois également que nous nous exprimons très bien et c’est une bonne chose. Cela veut dire que nous ne dormons pas. Une autre chose qui me tient à cœur, est que, quand les uns et les autres se réveillent, il ne faut pas penser à soi-même ; parce que nous, nous sommes en train de cheminer vers la sortie. Il faut penser à l’avenir des jeunes et à l’avenir du pays.

Propos recueillis par Abrandi Arthur Liliou

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