Minerais critiques en Afrique : des accords opaques avec les puissances mondiales

Alors que la course au contrôle des minerais nécessaires à la transition énergétique s’accélère, les pays développés et émergents mettent le cap sur l’Afrique pour sécuriser leurs approvisionnements. Les accords qu’ils nouent avec des Etats africains restent cependant peu transparents et largement inaccessibles au public, ce qui risque de limiter leurs bénéfices économiques et sociétaux sur le continent.
L’écrasante majorité des accords bilatéraux ou multilatéraux conclus entre des Etats africains et des puissances mondiales membres du groupe des vingt économies les plus développées (G20) ou de l’alliance des pays émergents BRICS+ dans le secteur des minerais critiques se caractérisent par leur manque de transparence et d’accessibilité au public, selon un rapport publié le lundi 20 janvier par le think tank indépendant africain, Africa Policy Research Institute (APRI).
Intitulé « Mapping Africa’s Green Mineral Partnerships », le rapport passe en revue les accords de coopération dans le domaine de l’exploitation de ces minerais critiques, qui ont été déjà signés entre des pays africains et les douze puissances mondiales les plus actives dans ce secteur en Afrique (Etats-Unis, Chine, Royaume-Uni, Turquie, Arabie saoudite, Emirats arabes unis, Russie, Inde, Corée du Sud, Japon, Indonésie et Union européenne).
Au total, 65 accords ont été conclus entre des pays du continent abritant des ressources minières considérables et ces puissances.
La Chine arrive en tête de liste avec 11 accords conclus avec des pays tels que la Zambie, le Zimbabwe, l’Afrique du Sud et l’Angola. Viennent ensuite l’Inde (9), la Turquie et l’Arabie saoudite (8 accords pour chaque pays), le Japon, l’Indonésie et la Russie (5 chacun), l’Union européenne (4), le Royaume-Uni et la Corée du Sud (3 accords chacun), et les Etats-Unis et les Emirats arabe unis (2 accords).
Du côté de l’Afrique, près d’une trentaine de pays ont signé des ententes sur l’exploitation des minerais nécessaires à la transition énergétique avec des puissances étrangères. Trois pays ont signé au moins six accords chacun avec des acteurs étrangers dans ce même domaine. Il s’agit de la Zambie, de la RDC et de l’Afrique du Sud.
Appelés « partenariats miniers », « protocole d’accords (MoU) », « partenariats stratégiques », « accords de coopération » ou « déclarations communes de coopération », ces ententes contiennent un large éventail de dispositions, notamment l’intégration de la chaîne de valeur des minerais critiques, la promotion de coentreprises d’investissements conjoints, le partage des connaissances et le renforcement des capacités dans le secteur minier.
Au-delà de cette diversité d’appellations, l’une des caractéristiques communes de la majeure partie de ces partenariats est leur manque de transparence et d’accessibilité au public. Même ceux accessibles au public tels que ceux conclus avec l’Union européenne, l’Inde, l’Indonésie et les Etats-Unis contiennent souvent des dispositions vagues et énigmatiques, ce qui offre rarement une perspective comparative entre les divers partenariats.
La compréhension du contenu des partenariats, qui sont généralement signés lors de visites d’Etat ou de forums de coopération, nécessite très souvent de recouper des informations provenant de diverses sources telles que les articles de presse, les rapports élaborés par des ministères et des interviews. En outre, de nombreux partenariats ne sont pas juridiquement contraignants et ont une période de validité prédéterminée, à l’issue de laquelle ils expirent ou doivent être révisés.
Agendas géopolitiques
Le rapport souligne dans ce cadre la nécessité d’une plus grande transparence et d’une meilleure accessibilité de ces contrats, afin de mieux comprendre leurs implications non seulement dans le domaine du développement économique, mais aussi du point de vue de l’accès du public à l’information, de la démocratie et des droits de l’homme et de la conformité aux intérêts sociétaux plus larges.
Lorsqu’il existe des informations ou des analyses accessibles au public, il apparaît clairement que les conditions et la portée des accords varient considérablement d’un pays à l’autre. Certains, dont ceux conclus avec l’Union européenne, servent de plateforme initiale pour une coopération future sur les chaînes d’approvisionnement en minerais critiques. D’autant plus qu’ils stipulent l’établissement d’un comité conjoint qui se réunit régulièrement dans le but d’identifier des opportunités d’investissement concrètes.
D’autres ententes servent des agendas géopolitiques plus tangibles. Dans le cadre de ses efforts pour former une alliance contre l’Occident, la Russie offre aux pays africains son expertise en matière d’exploitation minière ainsi qu’une série d’autres services, y compris des prestations sécuritaires.
Par ailleurs, les puissances étrangères choisissent généralement leurs partenaires bilatéraux en fonction de plusieurs facteurs stratégiques, dont des conditions commerciales favorables, les allégeances antérieures et la profondeur de la coopération dans d’autres secteurs. Par exemple, le Royaume-Uni a établi des partenariats avec le Nigeria, l’Afrique du Sud et la Zambie, qui sont tous des membres du Commonwealth.
De même, les partenariats actuels de la Russie reflètent ses relations historiques sur le continent. Pendant la guerre froide, l’Union soviétique a soutenu les mouvements d’indépendance de l’Angola et du Mozambique tout en finançant le Congrès national africain d’Afrique du Sud (ANC) dans sa lutte contre l’apartheid. Aujourd’hui, la Russie noue des partenariats avec ces mêmes trois pays dans le domaine des minerais critiques.
Les accords conclus entre la Turquie et certains pays d’Afrique de l’Est et de l’Ouest se recoupent, quant à eux, avec sa coopération sécuritaire et militaire élargie avec ces pays.
Le rapport révèle aussi que la nature des accords conclus entre des Etats africains et des puissances étrangères dans le secteur de l’exploitation des minerais « verts » varie considérablement, certains mettant l’accent sur une implication directe des Etats dans la coopération tandis que d’autres se concentrent sur la promotion d’un environnement d’affaires favorable aux investissements du secteur privé, un modèle de coopération qui peut conduire à des résultats tangibles plus lents.
Agence ecofin