A Lomé, l’Afrique de l’Ouest cherche à combler son déficit énergétique
Avec 400 millions d’habitants, une urbanisation galopante et des besoins énergétiques exponentiels, l’Afrique de l’Ouest doit accélérer ses investissements dans le secteur énergétique. Depuis Lomé, on espère que ce sommet marque le début d’une transformation majeure dans la quête d’une souveraineté énergétique régionale.
Lomé, la capitale togolaise, accueille cette semaine le premier Sommet de la coopération énergétique en Afrique de l’Ouest (WA-ECS), un événement essentiel pour une région où la moitié de la population reste privée d’électricité. L’objectif affiché : mobiliser les investissements nécessaires pour moderniser des infrastructures énergétiques vieillissantes et mal interconnectées.
Organisé par EnergyNet, spécialiste de la promotion des investissements énergétiques, en partenariat avec l’Etat togolais et avec le soutien de la Banque mondiale, cet événement rassemble gouvernements, institutions financières et entreprises privées autour du thème « Bâtir une souveraineté énergétique pour un développement durable ».
Le coup d’envoi a été donné le mardi 3 décembre 2024 par la Première ministre togolaise, Victoire Tomégah Dogbé. « Ce sommet est une opportunité unique de poser les bases d’un partenariat stratégique, capable de transformer les réalités énergétiques pour un avenir plus sûr et durable de nos populations », a déclaré la cheffe du gouvernement dans son discours inaugural.
Une crise énergétique persistante
Avec un taux moyen d’électrification de 56%, l’Afrique de l’Ouest est à la traîne. Dans certains pays, 30% de la population a accès à l’électricité contre plus de 70% en Côte d’Ivoire et au Sénégal. En milieu rural, la situation est encore plus dramatique : jusqu’à 80% des habitants vivent sans lumière ni énergie pour alimenter leurs appareils.
Ce déficit énergétique ralentit la croissance économique, limite l’accès à l’éducation et prive les populations de services essentiels comme les soins de santé. Selon la Banque mondiale, la région perd jusqu’à 4% de son PIB par an en raison de son retard énergétique.
Un potentiel sous-exploité
Pourtant, la sous-région dispose de ressources importantes. Avec une capacité hydroélectrique exploitable de 5000 MW, 20 % de ce potentiel est actuellement utilisé. Le solaire et l’éolien, particulièrement prometteurs dans les pays sahéliens, restent largement sous-développés.
« Le gaz naturel, avec des découvertes récentes au Sénégal, en Mauritanie et en Côte d’Ivoire, pourrait également jouer un rôle clé dans le mix énergétique régional », a aussi déclaré Sediko Douka, commissaire chargé de l’énergie et des mines de la CEDEAO.
Pour répondre à une demande croissante – en hausse de 6% par an – le plan directeur des infrastructures énergétiques de la CEDEAO (2019-2033) prévoit la production de 16 000 MW supplémentaires et la construction de 23 000 km de lignes d’interconnexion, pour un coût total estimé à 36 milliards de dollars.
Depuis 2020, plus de 5 milliards de dollars ont été injectés dans des projets structurants intégrés en Afrique de l’Ouest. Un investissement qui commence à porter ses fruits : les coûts de production d’électricité ont chuté de 30 à 40% dans plusieurs pays, selon Kwawu Mensan Gaba, directeur de la pratique énergie à la Banque mondiale.
Il a ajouté que des initiatives telles que la ligne Ghana-Togo-Bénin (350 km désormais opérationnelle), l’interconnexion Côte d’Ivoire-Liberia-Sierra Leone-Guinée et le gazoduc ouest-africain illustrent les avancées en matière de coopération régionale.
« Les projets d’interconnexion régionale avancent également. Par exemple, la ligne Ghana-Togo-Bénin, d’une longueur de 350 km, est désormais opérationnelle. Une autre interconnexion majeure, longue de 1303 km, relie la Côte d’Ivoire, le Liberia, la Sierra Leone et la Guinée, renforçant la stabilité énergétique dans ces pays. Un troisième projet, l’interconnexion Nord, connecte le Nigeria, le Niger, le Burkina Faso et le Bénin, avec près de 1000 km de lignes en construction. Ces initiatives témoignent de l’engagement de la CEDEAO à promouvoir l’intégration régionale en matière d’énergie », a indiqué M. Douka.
Le pari du gaz naturel
Alors que l’Europe tourne le dos aux combustibles fossiles, l’Afrique de l’Ouest mise encore sur le gaz naturel comme énergie de transition. Les récentes découvertes de gisements au Sénégal, en Mauritanie et en Côte d’Ivoire offrent une opportunité unique de diversifier le mix énergétique, ont insisté les intervenants.
Le gazoduc ouest-africain, long de 678 kilomètres, relie déjà le Nigeria, le Bénin, le Togo et le Ghana. Un autre projet, le gazoduc Nigeria-Maroc, pourrait transformer le paysage énergétique régional. Avec ses 6850 kilomètres, il devrait intégrer le gaz naturel dans les stratégies énergétiques de 16 pays.
« Dans le cadre de la transition énergétique, la CEDEAO reconnaît le rôle important du gaz naturel comme énergie de transition. Bien qu’il soit fossile, le gaz naturel est moins polluant que d’autres combustibles et permet une production énergétique à grande échelle tout en répondant aux enjeux climatiques. Actuellement, un gazoduc régional relie le Nigeria, le Bénin, le Togo et le Ghana sur une distance de 678 km. De plus, un projet ambitieux de gazoduc offshore, reliant le Nigeria au Maroc sur 6850 km, est en cours de développement. Ce projet traverse 16 pays et vise à intégrer le gaz naturel dans le mix énergétique de toute la région », a poursuivi Sédiko Douka.
Les blocages : gouvernance et financements
Malgré ces opportunités, des obstacles majeurs subsistent. La gouvernance des entreprises publiques d’électricité reste déficiente dans de nombreux pays, entraînant des défauts de paiement qui freinent les échanges transfrontaliers et découragent les investisseurs.
Pour sécuriser les transactions et renforcer la confiance des acteurs privés, la CEDEAO envisage la création d’un fonds fiduciaire régional. Ce mécanisme fournirait des garanties aux producteurs d’énergie et stabiliserait les flux financiers. Le fonds qui fait partie intégrante des efforts déployés pour opérationnaliser le marché régional de l’électricité s’accompagne d’autres initiatives, telles que la mise en œuvre de cadres réglementaires harmonisés, le renforcement des capacités institutionnelles des agences nationales de régulation et la création de mécanismes de règlement des différends dans le secteur énergétique.
Des attentes élevées
Les attentes envers le sommet sont élevées. Une déclaration commune devrait acter des mesures concrètes pour accélérer l’intégration énergétique régionale et favoriser les partenariats public-privé. « Ce sommet n’est pas seulement un cadre de dialogue entre gouvernements et secteur privé. Il doit être un catalyseur pour des actions concrètes. Je vous invite à mettre en œuvre des solutions pragmatiques, à définir des projets prêts à être exécutés et à renforcer les liens entre les gouvernements, les chercheurs, les entreprises et les acteurs de la société civile », a martelé la cheffe du gouvernement togolais.
Fiacre E. Kakpo