Dr Clément Ouédraogo (Suite et fin)

« Un aspect, autrement le plus important, est la présence de roches mères potentielles, c’est-à-dire de roches susceptibles de générer des hydrocarbures » 

 

Géo-Canal-Info a reçu dans ses locaux, Dr Clément OUEDRAOGO.  Après un Diplôme d’Etudes Approfondies (DEA) à l’université d’Aix-en-Marseille, il a obtenu à l’université de Poitiers en 1981, un Doctorat de spécialité Sciences de la Terre. Il est par ailleurs titulaire d’un « Master of Science Mineral Exploration » de spécialité Géochimie/Géostatique à l’université de technologie de Delft aux Pays-Bas. Aujourd’hui admis à la retraite, Dr Clément OUEDRAOGO a occupé des postes de direction, notamment à la tête de la Direction de la Recherche Géologique et Minière (DRGM) entre 2008 et 2011 et en sa qualité de Directeur régional/Bobo du BUMIGEB de 2003 à 2008. C’est cet Expert Géologue, spécialiste de la sédimentologie, qui s’est prêté, le 5 octobre 2021, aux questions de Géo-Canal-Info.

Entre 2011 et 2014, vous avez contribué entre autres, en tant que conseiller technique en charge des mines, à la relecture du code minier, à la réflexion sur les achats locaux dans le secteur minier. Qu’est-ce que la législation peut apporter à l’entreprenariat local ? 

 

La législation est importante pour tous les pays dans le secteur minier. C’est à travers elle, la réglementation et la mise en place de structures adéquates que l’Etat opère des choix stratégiques dans le sens du développement du secteur minier et en faveur de sa population. La question de la législation est donc de première importance. C’est même la première étape dans le sens de ce que l’on appelle aujourd’hui la bonne gouvernance du secteur minier. C’est la base et il faut donc, pour cette raison, une législation claire. 

 

Que pensez-vous de l’adoption du décret sur le contenu local ?

Tout cela fait partie de la gouvernance du secteur minier. Disons que l’adoption de ce décret  va en droite ligne avec le nouveau code qui préconise le fait que les nationaux puissent bénéficier et tirer parti de la chaine de valeurs du secteur minier. Je pense que c’est un pas important. En fait, le problème des Etats, c’est comment faire pour tirer parti du secteur minier lorsque c’est l’embellie dans le cours des métaux, et comment faire pour que les sociétés ne ferment pas la porte lorsque la situation se dégrade.

Je pense que les différents acteurs se concertent pour que tout cela aille pour le mieux, dans l’intérêt la population. Même si le cours de l’or est assez important en ce moment, il y a aussi d’autres aspects comme la question de la sécurité. Comment les miniers peuvent arriver à s’entendre avec l’Etat et quel surcoût cela peut-il engendrer ? 

 

Vous êtes membre de l’Association Géosciences Environnement et Développement Durable (AGGED) et de l’Association of Applied Geochemists. Pouvez-vous nous en dire mot ? 

L’association of Applied Geochemists est une association internationale qui est surtout axée sur la géochimie appliquée à l’exploration minière. Il faut dire qu’en 1988, 89 et 90, j’ai bénéficié d’une bourse pour faire un master en exploration minière au Pays-Bas. Dans  le cursus de ces études, il y avait un certain nombre de journaux qui étaient recommandés aux étudiants pour la suite de leur carrière. Je me suis abonné à cette association étant étudiant.  Par la suite, j’ai renouvelé cet abonnement en tant que travailleur. En tant que membre, je bénéficie donc des publications de l’association sur les questions de géochimie appliquée à l’exploration minière.

Il y a aussi d’autres associations comme  « International Association for Mathematical Geology » qui a beaucoup contribué au développement des méthodes quantitatives dans le secteur de la géologie. Aujourd’hui c’est devenu « International Association of Mathematical Geosciences », ce qui a élargi un peu plus le domaine. Il y a bon nombre d’associations du genre auxquelles l’on peut adhérer et bénéficier de publications à un coût réduit. Cela permet d’être à jour des avancées dans le domaine et de suivre l’évolution des sciences, notamment pour ce qui est de la géochimie appliquée pour l’exploration minière. Autrement dit, vous êtes « largué».

L’AGEDD, quant à elle, est une jeune association que nous avons créée en 2014 avec d’autres collègues, des anciens du BUMIGEB. Nous avons démarré avec des anciens du service mais l’objectif est de s’élargir à des géoscientistes d’horizons divers et même à d’autres scientifiques tels que des chimistes ou des physiciens ; l’objectif étant de contribuer au développement des géosciences, au service de l’Homme et de son environnement. Nous comptons également contribuer à la collecte, à l’exploitation et à la diffusion des données. Notre but est aussi de former, d’éduquer et d’éclairer l’opinion sur un certain nombre de thématiques. Dans ce sens, nous sommes surtout une force de proposition. Nous faisons des études et nous proposons des solutions aux problèmes que nous avons détectés. 

 

En matière d’exploitation minière, quel équilibre peut-on trouver entre développement socio-économique et  protection de l’environnement ?

Disons que c’est une problématique qui est assez vaste. C’est en quelque sorte comment intégrer la question de la protection de l’environnement et des droits sociaux et humains dans la gestion du secteur minier. Si on arrive à intégrer ces différents aspects, on aboutit forcément à un développement plus consistant, plus durable. C’est un problème assez vaste et complexe et il faudra peut-être toute une conférence pour aborder la question.

Cela commence déjà par une première étape qui est la construction du cadre légal à savoir la législation, la réglementation et la construction des structures qui vont gérer la question. Il faut donc prendre en compte les différents éléments que je viens de citer, à savoir les questions environnementales, la question des droits sociaux et des droits humains.

Ensuite, pour la deuxième étape, il s’agit de la décision d’exploiter ou de ne pas exploiter. C’est en quelque sorte l’aménagement du territoire. Quand l’Etat décide que l’on peut exploiter  et développer des activités minières à tel endroit et pas à tel autre. C’est cela la décision d’exploiter. Il faut prendre en compte le point de vue des populations dans les prises de décision.

 C’est toute la chaine de l’exploitation minière jusqu’à la clôture de l’activité minière qui est concernée. Quand on commence à exploiter, on pense déjà à la clôture, aux différentes activités que l’on doit mener. Et quelquefois, la réhabilitation commence assez tôt. A l’étape de clôture, on a fini cette réhabilitation. Et à l’étape de post-clôture, le site est réaménagé et remis à l’Etat en fonction de ce qui a été décidé dès le départ.

Il faut s’y atteler très tôt et souvent on y réfléchit quand l’activité a déjà atteint un certain niveau de développement. Dans nos différents pays, c’est lorsque l’on commence à exporter que l’on se rappelle de tout cela alors que c’est bien avant qu’il faut réfléchir à la question. 

 

Un haut responsable des mines et des carrières avait évoqué la présence du pétrole au Burkina ? En Côte d’Ivoire, on en a récemment découvert. ? Que peut nous dire  le spécialiste du sédimentaire que vous êtes, pour ce qui concerne le Burkina ?

C’est une question qui a taraudé  les esprits pendant un bon moment. Mais l’erreur  que l’on fait généralement est de comparer notre situation à celle des pays voisins. Chez nous, la zone qui pourrait être intéressante de ce point de vue, c’est celle de l’Ouest ; la zone sédimentaire qui borde la frontière à l’ouest et qui est, en quelque sorte, la continuité du grand bassin de Taoudéni centré en Afrique de l’Ouest alors que si vous prenez la Côte d’Ivoire, c’est le bassin offshore.

 Entre les deux, nous avons le socle granitique. Nous ne pouvons donc pas comparer parce que nous sommes voisins. A la limite, on aurait pu comparer le Burkina au Mali parce que c’est le même bassin qui se prolonge au Mali et au Niger.

Pour ce qui concerne le pétrole, la démarche est la même que pour les métaux. En général, les techniciens ne disent pas qu’ici il y a de l’or ou du nickel. Tant qu’il n’y a pas la possibilité de mettre en évidence l’or ou le nickel, vous ne pouvez pas dire qu’il y en a ou qu’il n’y en a pas.

Il est possible de dire, par exemple, qu’il y a un contexte géologique qui est favorable à tel ou tel type de minéralisation. C’est en ce moment et en fonction de ce contexte que l’on décide de faire la prospection pour un type précis de minéralisation. Et, c’est seulement lorsque vous faites un  sondage ou que vous avez tapé dessus et que vous pouvez montrer l’indice de la minéralisation ou  dire qu’il y a ceci ou qu’il y a cela.

En dehors des conditions que je viens d’énoncer, il est rare d’entendre un technicien dire que dans telle zone, il y a tel minerai. C’est idem pour la question du pétrole. Je ne suis pas géologue pétrolier mais quand la question s’est posée, j’étais au BUMIGEB et, l’on m’a demandé de contribuer à la réflexion.

La première chose était de  voir les géologues pétroliers ; de savoir ce qu’ils cherchent d’abord et le contexte qui est, pour eux, favorable à la génération des hydrocarbures. Il y a d’abord l’épaisseur des sédiments. A moins de 2000 mètres d’épaisseur, il n’y a pas beaucoup de chances.

Heureusement, chez nous, il y a une structure dans la zone de Nouna où on a l’impression que les sédiments ont une épaisseur d’au moins 4000 mètres ; et même là, il faut un levé de géophysique pour confirmer que ce sont vraiment des sédiments qui se poursuivent. C’est là un aspect qui est favorable.

Mais l’autre aspect, autrement le plus important, c’est la présence de roches mères potentielles, c’est-à-dire de roches susceptibles de générer des hydrocarbures qui vont migrer et être pris en piège dans des structures particulières. Les roches mères sont des roches qui sont riches en matières organiques.

Les géologues cherchent à savoir s’il y a la possibilité d’avoir ces roches mères. C’est ce que nous avons essayé au niveau du BUMIGEB. Mais il faut dire que cela est difficile parce que nous avons, jusque-là, des échantillons de surface qui sont prélevés et les analyses faites n’étaient pas favorables. Mais comme nous n’avons pas pu avoir des échantillons de profondeur, il est difficile de se prononcer sur la question de l’existence ou non de roches mères potentielles. Il y a cette question qu’il faut résoudre.

Il y a aussi la question de la géophysique, de la sismique qui va, notamment, permettre de confirmer non seulement l’épaisseur des sédiments mais qui va  montrer aussi les structures en profondeur et dire s’il y en a qui sont pièges. Vous voyez que de là  à dire qu’il y a du pétrole, il y a encore beaucoup de choses à faire (rires). Au BUMIGEB, les géologues ne vont pas vous dire qu’il y en a ou qu’il y  en pas. C’est là la question. 

 

Quel regard portez-vous sur la recherche géologique et minière au Burkina ?

Je pense que, globalement, le Burkina est assez bien parti pour ce qui concerne la recherche géologique et minière, surtout avec la présence des sociétés minières. Ces compagnies apportent, avec elles, des méthodes, des techniques, des instruments et des appareillages qui contribuent et complètent la recherche. L’échange avec ces compagnies va se porter, non seulement sur les données, mais aussi sur les différentes connaissances des uns et autres. S’il y a des échanges, qu’ils se formalisent avec le secteur minier privé.

Par rapport à ce que nous avons connu par le passé, je pense que les perspectives sont bonnes. Quand je vois ce dont dispose le service géologique national pour les campagnes, le matériel, les capacités d’analyses, je pense que c’est une bonne chose et la recherche géologique et minière à de beaux jours devant elle. Il reste peut-être à résoudre le problème du personnel. Est-ce que ce personnel est suffisant en nombre ? Il y a peut-être à ce niveau des contraintes budgétaires. Il y a aussi la question de la formation qu’il faut considérer en fonction de ce que l’on veut développer.

La seule chose que l’on peut regretter c’est la situation sécuritaire actuelle qui limite et bloque un peu ce qui avait été prévu; aussi bien au niveau du service géologique national que des sociétés minières, des privés et mêmes nous, les associations qui travaillons et faisons un peu de recherche à travers des sorties. C’est un peu limitatif et c’est dommage !

Dans certains contextes, on aurait pu mieux tirer parti en dépit de la situation qui prévaut. Je veux dire que si le pays était suffisamment développé, avec un service géologique ayant un département de recherche et développement, c’aurait pu donner l’occasion d’imaginer des solutions ; que convient-il de faire face à la menace terroriste et comment faire de la prospection en pareille situation ? Je rêve mais en général, ce sont les circonstances qui conduisent à chercher et à trouver des solutions, à développer des méthodes et des technologies.

C’est ce que je peux formuler comme regret. Comme dernier mot, on ne va pas terminer sur une note pessimiste. J’espère que la situation va s’améliorer et que l’on pourra recommencer comme avant et développer encore plus notre branche, les différentes branches des géosciences pour le bonheur des populations.

Propos recueillis par Abrandi Arthur Liliou

Vous pouvez suivre les vidéos de l’entretien sur notre page ‘‘NOS VIDEOS’’

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