Dr Clément Ouédraogo (1 ère partie)
« Il suffit d’une chute du cours de l’or et c’est tout le secteur industriel qui est bloqué »
Géo-Canal-Info a reçu dans ses locaux, Dr Clément OUEDRAOGO. Après un Diplôme d’Etudes Approfondies (DEA) à l’université d’Aix-en-Marseille, l’invité de Géo-Canal-Info a obtenu à l’université de Poitiers, en 1981, un Doctorat de spécialité Sciences de la Terre. Il est par ailleurs titulaire d’un « Master of Science – Mineral Exploration » de spécialité Géochimie/Géostatique à l’université de technologie de Delft aux Pays-Bas. Aujourd’hui admis à la retraite, Dr Clément OUEDRAOGO a occupé des postes de direction, notamment à la tête de la Direction de la Recherche Géologique et Minière (DRGM) entre 2008 et 2011 et en sa qualité de Directeur régional/Bobo du BUMIGEB de 2003 à 2008. C’est cet Expert Géologue, spécialiste de la sédimentologie, qui s’est prêté, en ce 5 octobre 2021, aux questions de Géo-Canal-Info.
Vous êtes Docteur de spécialité Sciences de la terre. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Je vous remercie tout d’abord de m’inviter à m’exprimer sur votre tribune. En fait, Docteur de spécialité correspond à l’ancien système français où il y avait deux thèses. Il y avait le doctorat de troisième cycle et le doctorat d’état. Le doctorat de troisième cycle est donc un doctorat de spécialité Sciences de la Terre.
Cela veut dire que dans la pratique, l’on ne devrait pas m’appeler Docteur Clément Ouédraogo, mais plutôt Monsieur Clément Ouédraogo ; le titre de docteur était sous ce système-là, donc strictement réservé à ceux qui avaient le doctorat d’état. Après ma thèse de troisième cycle, je me suis inscrit en thèse d’état mais je n’ai pas pu finaliser.
Après vos études supérieures, vous auriez pu embrasser une carrière universitaire. Pourquoi n’avez-vous pas fait ce choix ?
Disons que lorsque je suis arrivé en France, en année de maitrise pour les études, les autorités de l’époque, c’était sous le Président Saye Zerbo, ont sorti une note pour exiger de tous ceux qui étaient en fin de cycle de rentrer pour servir dans l’enseignement parce qu’il n’y avait pas suffisamment d’enseignants.
Ils avaient décidé de couper les bourses à tous ceux qui étaient en fin de cycle pour les obliger à rentrer et servir dans l’enseignement. C’est ainsi que j’ai vu ma bourse coupée. Mais comme j’étais, malgré tout, déterminé à continuer et que la situation s’y prêtait, je me suis inscrit en DEA. J’ai donc continué et j’ai eu un contact avec Dr Emile Gansonré qui était de passage en France pour voir les géologues en formation dans les différentes universités.
C’est ainsi que nous avons échangé et il est ressorti qu’ils avaient besoin d’un sédimentologue au Burkina parce qu’il n’y en avait pas. Ils avaient besoin d’une personne qui connaissait tout ce qui est géologie, surtout pour l’ouest du pays. C’est sur cela que nous avons discuté. Et pour le choix du sujet de thèse, nous avons dû rencontrer les Professeurs de l’université d’Aix-en-Marseille.
C’est ainsi que nous sommes tombés d’accord sur un sujet sur le sédimentaire au Burkina Faso. Sur cette base, le Bureau des Mines et de la Géologie du Burkina (BUMIGEB) s’est engagé à me donner un pécule par mois pour me permettre de terminer ma thèse et de rentrer afin de me mettre au service du BUMIGEB.
C’était donc déjà « calé », bien avant même que je ne finisse mes études, que je devais rembourser la dette (rires). Il y a aussi un autre aspect. A l’époque c’était, quand même, la seule façon de faire de la géologie de terrain et, c’est le BUMIGEB qui en offrait l’opportunité ; de faire cette géologie de terrain, de la cartographie, etc.
A l’université de Ouagadougou, il y avait des difficultés. Mes collègues qui y étaient, avaient du mal à sortir sur le terrain. Il y en avait même certains qui devaient, pour entamer leur thèse, aller à mobylette sur le terrain. C’était compliqué.
Cependant, le BUMIGEB avait aussi ses conditions, le mot d’ordre étant ‘‘vous n’êtes pas ici pour faire de la recherche scientifique ; vous êtes là pour chercher de l’or, les gisements donc’’. Vous avez ainsi la possibilité d’aller sur le terrain ; non pas pour faire de la recherche fondamentale ou de la recherche scientifique en tant que tel ; mais plutôt pour rechercher des minerais et pour faire des cartes.
Vous avez étudié au Niger, en France, aux Pays-Bas, etc. Quels rapports pouvez-vous faire entre l’enseignement à l’extérieur et au Burkina ?
Je n’ai pas choisi d’emblée d’aller à l’extérieur pour faire mes études. Quand on est en classe de terminale, déjà, il y avait des psychologues qui passaient, s’entretenaient avec les élèves dans le but de les orienter. Et moi, j’ai été orienté en géologie parce qu’il y avait très peu de géologues au Burkina à cette époque. Après le BAC, je devais donc étudier la géologie si je voulais une bourse nationale.
En ce moment, l’enseignement supérieur à Ouaga était plutôt orienté vers les lettres. On m’a donc envoyé à Niamey où il y avait les filières scientifiques. J’ai fait deux ans à Niamey et j’ai continué par la suite en France pour terminer les études en géologie. C’est donc par la force des choses que je me suis retrouvé en France pour les études de géologie.
Mais, vous savez, la question ne se pose pas tout à fait de cette façon-là. Il y a eu des périodes où l’université de Ouaga était cotée en Afrique de l’Ouest et surtout dans les filières de sciences fondamentales ; comme la physique, la chimie ou les mathématiques.
Quand vous allez à l’extérieur, il y a des universités qui vont être cotées pour telle ou telle autre filière. Par exemple en France, en mon temps, si vous vouliez faire le Droit, Poitiers était une université renommée pour ces études-là. Au Royaume-Uni, il y avait aussi l’université d’Oxford qui était cotée.
Cela reflète surtout le dynamisme de la recherche scientifique dans ces universités. La problématique, chez nous, c’est en fait la question de financement et de dynamisme de la recherche scientifique dans telle ou telle filière, dans telle ou telle université. Ce n’est donc pas vraiment l’extérieur ou le pays « local » qui est le plus important.
En plus, de nos jours, avec le développement d’Internet, les universités sont interconnectées et les enseignants ont des relations avec les enseignants des pays développés. Tout cela fait que les cursus tendent à s’homogénéiser sauf qu’à un certain niveau, il y a le problème de financement, de matériel, et d’appareillage qui reste posé.
Autrement, il faut savoir, lorsque l’on prend les sciences de la terre, quel type de géoscientifiques l’on va former. Quand on prend les géosciences, on se rend compte du développement des méthodes quantitatives qui ont beaucoup évolué, et rapidement, en l’espace de cinquante ans ou même moins ; avec, en 1960, l’introduction de l’informatique dans les sciences de la terre ; et dix ans plus tard, dans les années 70, de nombreux logiciels qui permettaient de faire des statistiques, des modèles, des simulations, en passant par les corrélations de tous types, les classifications, etc.
Actuellement, si vous avez un problème géoscientifique à résoudre, vous allez générer d’énormes quantités de données qu’il faut traiter plus tard. De nos jours, pour former un géoscientifique, cela nécessite des bases solides dans les matières fondamentales comme les mathématiques, la physique ou la chimie. C’est là la question. Quel savoir délivrer et comment le faire.
Vous avez occupé le poste de Directeur de la Recherche Géologique et Minière (DRGM) au Bureau des mines et de la Géologie du Burkina (BUMIGEB). Que pouvez-vous nous en dire ? Qu’attend-on du directeur et de son service à ce niveau ?
Je suis arrivé en 2008 pour être directeur de la recherche géologique et minière à Ouaga. Je suis resté à ce poste rien que deux ans. Ce qui n’était pas vraiment suffisant pour apprécier ou imprimer quelque chose de particulier. Mais je dois dire que j’ai travaillé avec des gens qui étaient ouverts et de très haut niveau scientifique de sorte que le travail qui consistait à orienter et à superviser la recherche était facilité. Je me rappelle encore que nous avons longtemps discuté ensemble sur les problèmes spécifiques du géologue au BUMIGEB.
Nous avons alors conclu qu’il fallait avancer vers une sorte de spécialisation de chaque géologue. Au BUMIGEB, vous êtes amenés à tout faire. C’est-à-dire que vous êtes pétrographe, vous êtes cartographe et sédimentologue ; Vous êtes tout. C’est bien mais c’est mieux d’être spécialiste de quelque chose ; par exemple si vous êtes structuraliste et que vous faites beaucoup plus de structurale, vous serez beaucoup plus à l’aise avec la structurale et vous allez acquérir plus de compétences dans cette filière.
L’idée était donc d’amener les uns et les autres à développer une certaine expertise dans telle ou telle filière de la géologie. Nous avons discuté mais nous n’avons pas pu malheureusement mettre tout cela en œuvre. J’espère que ceux qui nous suivent vont trouver une solution à cela.
Vous avez été Directeur régional/Bobo de 2003 à 2008. Combien y a-t-il de de directions régionales du BUMIGEB au Burkina et que gardez- de votre passage à la tête de cette direction ?
Pour ce qui concerne les missions, ce sont des missions normales de l’administration. La supervision, l’orientation et l’ordonnancement délégué du budget. J’ai été directeur régional à Bobo à une période où le BUMIGEB traversait beaucoup de difficultés et des difficultés financières notamment.
C’était, on va dire, sympathique. L’ensemble des travailleurs était mobilisé pour essayer de trouver des solutions. C’est une période aussi où l’État avait proposé au BUMIGEB de mettre en place un plan stratégique. L’Etat s’était alors proposé de financer ce plan. Il fallait ainsi élaborer un plan stratégique et nous étions très enthousiastes, à Bobo, à l’idée de participer à l’élaboration de ce plan.
Tout le monde a vraiment participé et j’ai été marqué par cette communion. C’est en ce moment que l’on voyait le rêve que les techniciens et les cadres pouvaient avoir pour le BUMIGEB.
A cette occasion, nous avons fait des propositions comme celle de créer d’autres directions régionales. A l’époque, il y en avait deux ; les directions régionales de Bobo et de Dori. Celle de Dori était déjà en voie de fermeture.
Mais nous nous sommes dits dans notre analyse que nous pouvions créer d’autres directions régionales. La solution consistait donc à les spécialiser. C’est-à-dire que du point de vue des activités de contrôle et de surveillance, nous pouvions répliquer, dans chaque direction régionale, ce qu’il y avait à la direction centrale à Ouaga. Il fallait une sorte de maillage du territoire pour permettre un meilleur contrôle.
Mais du point de vue de la recherche géologique et minière, nous n’étions pas obligés de répliquer ce qui passait à Ouaga, dans chaque direction régionale. Cela aurait occasionné un surcout. Cependant, il était possible de spécialiser les directions régionales en fonction des caractéristiques de chaque secteur. Par exemple à Bobo, il y avait les sédiments qui étaient bien développés et aussi un laboratoire qui était performant.
Nous avions donc en tête de spécialiser la direction régionale de Bobo en géochimie appliquée à la prospection et en sédimentologie. Puis nous voulions également spécialiser les autres directions de sorte à ce que toutes soient complémentaires, et en minimisant les couts.
Vous avez évolué dans les deux services géologiques de Ouaga et de Bobo. En dehors des grands traits qui peuvent être communs, quelle est la spécificité de chacun d’eux ?
Il faut dire, qu’historiquement, tout a commencé à Bobo. La direction des mines y était installée. C’est par la suite qu’elle a été déplacée à Ouaga. C’est donc cette direction des mines qui est devenue la direction régionale/Bobo du BUMIGEB.
La spécificité était qu’il y avait un certain nombre d’activités qui se faisaient ; des activités que les équipes du Bureau de Recherches Géologiques et Minières de France (BRGM), qui ont longtemps travaillé avec nous, ont laissé. Il s’agit par exemple des activités d’exploration en stream-sédiments ou en alluvions. Ces activités étaient plus développées à l’Ouest du fait que cette zone était plus humide. Nous disposions d’équipements pour cela.
Il y avait aussi un projet minier à Gaoua qui était installée à la direction régionale de Bobo. Ce projet a contribué à renforcer cette direction en matériel et en formation. On avait un laboratoire performant. C’était un petit laboratoire qui était coté parce que nous avions la possibilité d’y traiter les échantillons avec soin et de fournir des résultats fiables. Nous avions un certain nombre d’installations qui faisaient de la direction de Bobo, une direction assez performante.
Mais à Dori, par exemple, ce sont les activités de contrôle qui sont restées jusqu’à la clôture de la direction régionale. Car, par la suite, celles de recherche géologique et minière ont disparu.
En fait, c’est cela la particularité de la direction régionale de Bobo par rapport à celle de Ouaga. A Ouaga, il s’agit de la direction mère car elle n’est pas une direction régionale en tant que tel. C’est la direction nationale.
La plupart des mines sont d’or. N’est-il pas possible et ne conviendrait-il pas de diversifier l’exploitation minière au Burkina ?
C’est là une question très importante. Je pense que les autorités sont conscientes de cela ; aussi bien les autorités au niveau du ministère que celles au BUMIGEB. Elles sont toutes conscientes de la nécessité de diversifier le secteur parce qu’il y a beaucoup d’inconvénients. Il suffit d’une chute du cours de l’or et c’est tout le secteur industriel qui est bloqué. C’est donc un peu embêtant de n’être que producteur d’or. Je pense que les autorités ont pris des résolutions et ont prévu des actions pour remédier à cela.
Il y a un certain nombre de projets de cartographie que le BUMIGEB a menés. Il y a des cartes qui sont sorties au 200 millième. Je crois que, pour la prochaine étape, le BUMIGEB est en train de viser la cartographie au 50 millième qui est beaucoup plus utile pour les prospections minières. Tout cela va prendre du temps. Mais la prospection continue pour le BUMIGEB. Ils sont en train de prospecter différentes cibles autres que l’or pour tenter donc de pallier le problème, pour remédier à la question.
Cependant, il faut avoir les pieds sur terre. Les efforts sont faits pour chercher mais, c’est ce qu’il y a qu’on trouve. Il n’y a pas de miracle. On ne va pas inventer quelque chose.
Heureusement que les opérateurs économiques ou financiers nationaux s’intéressent à la question des mines. Je vois que certains commencent à y investir. S’il y a des sociétés minières nationales qui naissent et qui sont financées à l’interne ou qui trouvent leurs financements à la Bourse régionale des Valeurs Mobilières (BRVM). Je rêve mais supposons (rires), parce qu’il y a des pays ou cela se passe ainsi.
Quand on dit que la Chine ou le Canada a produit tant de tonnes d’or, il y a leur production interne mais il y a aussi la production des mines qu’ils ont dans d’autres pays. Ces pays produisent donc toutes sortes de minerais et il ne s’agit pas seulement de la production nationale. Ce serait bien si nos opérateurs parvenaient à ce stade.
Propos recueillis par Abrandi Arthur Liliou
Vous pouvez suivre les vidéos de l’entretien sur notre page ‘‘NOS VIDEO