Abdoulaye OUEDRAOGO, Ingénieur Géophysicien Minier (suite et fin)
« Le politique s’immisce dans des questions techniques qu’il ne maitrise pas »
Vous êtes aujourd’hui à la retraite. Y a-t-il des projets qui vous tenaient à cœur et que vous n’avez pas pu réaliser ?
Absolument. Il y en a beaucoup. D’abord au niveau du BUMIGEB : il est clair que je n’ai pas pu aboutir à ce que je voulais au niveau de la géophysique car nous ne sommes pas parvenus à recruter en nombre le personnel que nous désirions pour, non seulement, développer le service à Ouagadougou mais aussi à Bobo-Dioulasso ; pour cette ville, j’avais en tête la recherche des hydrocarbures avec des géologues, préférentiellement, basés à Bobo.
Il fallait des cadres, des équipements et du matériel à acquérir. En somme, nous avions besoin de ressources. Nous avons fait des projets pour des levés aérogéophysiques basés sur des zones du sédimentaire que nous avions vues et qui nous paraissaient intéressantes. Qui pour financer ?
Le Président du Faso d’alors, voulait savoir si l’on pouvait trouver du pétrole ou du gaz au Burkina et nous en avait confié la mission. Mais il n’était plus là en 2015. Le projet ne s’est pas poursuivi. On disposait même d’une cellule de recherche des hydrocarbures au sein du BUMIGEB, présidée par le Directeur général dont j’étais l’adjoint pour le suivi opérationnel. La zone de Bobo était la base de ce projet et nous avions même signé une convention avec le service géologique du Ghana qui avait une foreuse capable d’atteindre 2800 mètres de profondeur.
Ce service allait exécuter pour nous les premiers travaux d’exploration, en profondeur, pour que nous soyons situés afin de ne pas gaspiller de l’argent. Nous avons des interprétations de compagnies aéroportées, d’avant, qui nous montrent les zones où nous devons accentuer nos efforts. Manque d’argent, manque de volonté, tout s’est arrêté en 2015.
Le BUMIGEB, fait-il appel à vous ? vous sollicite-t-il, vue votre expertise ?
Oui. Il faut dire que jusque-là, cela n’a pas été officiel. On m’a appelé, me demandant si je souhaiterais travailler avec le BUMIGEB en tant qu’assistant ou expert associé dans le cadre du projet qui sera relancé avec la Banque Mondiale, sur la recherche des hydrocarbures. J’ai répondu que je ne trouvais aucun inconvénient à cela et qu’il fallait pour ce faire que j’aie les (TDR) termes de référence, ne pouvant donner mon accord seulement au téléphone.
Je dois lire et les TDR et un « papier » officiel du Directeur général m’invitant à cela. Je suis à la retraite, je ne suis plus un agent du BUMIGEB. Même s’ils m’aiment bien, je ne peux pas ainsi, m’insérer en parfaite illégalité(rires). J’ai été directeur et je sais que tout acte posé dans un service doit avoir un papier qui l’atteste. J’ai été contacté mais il faut que je sois imprégné des choses et que j’aie un document officiel venant du BUMIGEB. Je suis par email ce qui se passe au niveau de ce projet mais je ne peux pas donner un point de vue acté parce qu’en fait, je n’ai pas de raison de le faire.
Existe-t-il un cadre par lequel et où les uns et les autres pourraient bénéficier de votre savoir et de votre savoir-faire en matière de géophysique ?
Du point de vue de l’enseignement, j’avoue que j’ai été contacté par des écoles. Malheureusement, en 2017, j’ai eu des soucis de santé qui m’ont conduit à l’hôpital. A la suite de cela, j’ai décidé de faire beaucoup plus attention en ne me chargeant pas trop et en ne participant qu’a des activités moins exigeantes. J’ai donc refusé de dispenser des cours tout en restant disponible pour des activités telles que des travaux pratiques qui ne dureraient pas plus d’un jour ou deux.
J’ai eu à donner à l’Institut International d’Ingénierie de l’Eau et de l’Environnement (2iE), des sessions de formations pratiques à des étudiants de 2008 à 2010. Je reste ouvert à toute forme de collaboration pratique qui ne serait pas trop prenante. En matière d’expérience, ce serait difficile de trouver une personne ayant fait autant de géophysique minière, eau…avec différents types de problèmes à résoudre. Nous avons même effectué des études géophysiques sur le pont de Diébougou avant qu’il ne soit refait par une autre société, pour voir jusqu’à quelle profondeur il fallait bétonner. Tout cela est bien concret.
Il y a des outils scientifiques dont nous ne disposons pas et dont on a besoin en géophysique pour des travaux bien spécifiques. Le géoradar qui permet de détecter les cavités sous les routes parce qu’il est efficace avec les infiltrations dans le sédimentaire. Mais il fallait, à chaque fois, parer au plus urgent, le luxe ne venant qu’après. Un appareil qu’on devait avoir il y a dix ans et c’est maintenant que nous l’acquérons. Allez- y comprendre ! Nous nous débrouillons au BUMIGEB. Je sais qu’on l’appelait la maison de l’or en langue nationale mooré ! Il y a de l’or mais pas pour les agents du service ; il appartient à d’autres personnes qui ne comprennent pas grand-chose à la science de l’or(rires).
J’ai fait venir pour la première fois au Burkina, des investisseurs européens d’origine russe. Ils ont trouvé une association avec des bailleurs de fonds et nous avons monté l’unité semi-mécanisée de Pinsapo Gold à Bouda ; c’est une société de droit burkinabé qui traitait les rejets des orpailleurs et 50 ouvriers locaux y travaillaient. Le projet a mis un long temps à démarrer mais l’a finalement été en 2011.
Qu’est-ce qui vous tient à cœur et que n’avons pu aborder au cours de cet entretien ?
J’insiste sur le problème de management. En observant, je constate que le politique s’immisce dans des questions techniques qu’il ne maitrise pas. Il faut que les politiciens laissent les techniciens s’exprimer de la meilleure des façons. Qu’ils écoutent et essaient de satisfaire les besoins de ces derniers. Lorsque j’observe la configuration du ministère de l’Energie, des Mines et des Carrières, je ne suis pas satisfait.
L’expertise que le BUMIGEB donnait à ce ministère a été multiplié par zéro. Depuis un certain temps, tous les Experts du BUMIGEB qui étaient détachés au niveau de ce ministère ont été « remerciés ». Il y a des nouveaux qui y ont été affectés. Vous ne trouverez pas, parmi eux, un seul Expert digne de son nom à son poste aujourd’hui. Je ne comprends pas pourquoi.
Un Directeur général du cadastre doit avoir fait le cadastre minier, à la limite, même s’il n’est pas docteur, qu’il maitrise cela. Un Directeur général des mines doit être un minier, même à la retraite, parce qu’il connait son domaine. Si on n’y prend garde, ce pays ne fera que reculer avec tout le corollaire que cela implique.
Il y a des services qui sont techniques, laissez-en la gestion aux techniciens. Le ministre est politique, le secrétaire général aussi, c’est bien. Mais à partir du directeur général de la géologie, des mines et des carrières, il faut des professionnels expérimentés. L’ancien directeur du BUMIGEB a été nommé ministre délégué et il ne devrait pas être la seule personne venant du BUMIGEB.
Le BUMIGEB c’est le laboratoire. J’espère que tout le monde va se calmer et s’entendre pour que le BUMIGEB fonctionne comme il se doit, correctement car, jusque-là, ce n’est pas le cas. On a trop politisé les choses dans ce pays. Le BUMIGEB a produit les premières mines d’or mais est en reste aujourd’hui. Je souhaite, qu’avec lucidité, l’on fasse un jour les états généraux des mines ; que les anciens et les jeunes s’asseyent et se parlent pour aboutir à une nouvelle société minière du Burkina.
Propos recueillis par Abrandi Arthur Liliou
Suivez les vidéos de l’entretien en cliquant sur les liens suivants :